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    vendredi 23 octobre 2009

    Quatre pièces de Feydeau

    Sous les voûtes de bois intimes et chaudes du Vieux-Colombier, Gian Manuel Rau met en scène quatre pièces courtes de Feydeau - Amour et piano, Un Monsieur qui n'aime pas les monologues, Fiancés en herbe et Feu la mère de Madame - s'enchaînant avec fluidité dans une atmosphère de catastrophe mondaine très amusante. Dans la première pièce, un faux maestro, cherchant une maîtresse tarifée, se présente chez une jeune fille attendant son professeur de piano, qu'il croit être une actrice en vue (mauvaise adresse) ; dans la seconde, un monologuiste intarissable réprouve véhémentement la pratique du soliloque ; dans la troisième, deux jeunes enfants, ennuyés des fables qu'on leur a donné à apprendre par coeur, décident de se marier ; dans la dernière, un couple trop marié voit sa nuit bouleversée par l'annonce de la mort de la mère de Madame...



    De ces trames de quiproquos si précises, si ajustées, Rau révèle la mécanique intrinsèque (troubler l'ordre/rétablir l'ordre) dans un joyeux bordel visuel, plein de couleurs et de gadgets un peu bouffons (le faux-cul gonflable de la jeune fille, la perruque en salade verte du mari noceur) mais pas vains. On ne peut pas en dire autant des intermèdes musicaux qui n'ont pas d'autre mérite que de révéler le talent de Léonie Simaga, qui fait décidément tout très bien ; la chansonnette de Laurent Stocker et d'Anne Kessler (excellents par ailleurs de bout en bout) hurlée dans un micro avec des masques de lapins méchants sur des beats très rock industriel dénote l'influence germanique de l'auteur et sonne très cliché (cf. Jean La Chance au théâtre de la Bastille la saison dernière, quasiment la même chose). Cette légère faute de goût, aimable presque comme le défaut d'un être aimé, ne gâche en rien le plaisir que l'on prend devant un spectacle si intelligent et des acteurs si brillants (citons aussi Christian Hecq, qui introduit des personnages à la Elie Semoun - cheveux gras, triple foyer - sur la scène du Français).


    Quatre pièces de Feydeau - Mise en scène : Gian Manuel Rau - Comédie-française, Vieux Colombier, jusqu'au 25 octobre 2009.


    Toussométrie : faible (1/5).

    vendredi 16 octobre 2009

    Trisha Brown Dance Company

    La compagnie de danse de Trisha Brown (TBDC pour les intimes) présentait la semaine dernière trois pièces permettant de parcourir à très grands pas l'oeuvre de la chorégraphe américaine, une des figures de la danse post-moderne américaine : Set and Reset (1983), You can see us (1995) et L'Amour au théâtre (2009) et à en explorer les "ruptures".

    Dans Set and Reset, l'avant-garde new-yorkaise des années 1980 nous est ressucitée : musique encore frappante de Laurie Anderson qui hybride boucles sonores synthétiques, percussions organiques et impressions de pop mélodique, scénographie de Robert Rauschenberg, celle-là peut-être un peu vieillie (étrange objet volant diffusant de façon peut-être aléatoire des bribes d'images d'actualité en noir et blanc), et l'art fluide et géométrique de Trisha Brown exposé dans le livret : "Set and Reset est basé sur une danse rectangulaire. Je la pense comme un système de livraison de petites unités de danse -duos et trios - qui sont délivrées au centre de la scène." Set and Reset est une oeuvre doublement parfaite : parfaite de beauté et de pureté et parfaite d'adhésion à son temps, de symbiose exacte entre la créatrice et une époque aujourd'hui révolue (d'où légère mélancolie à la vision).

    Les deux pièces suivantes semblent au contraire décrire le processus de décollement, de lente rupture de Trisha Brown avec son époque. La chorégraphe tourne progressivement le dos (littéralement, dans le solo If you couldn't see me, transformé en duo dans You can see us, elle dansait dos au public) à la contemporanéité, jusqu'à utiliser un opéra de Rameau pour sa dernière oeuvre (T. Brown a souvent travaillé à la mise en scène d'opéras) ; mais gagne-t-on réellement en éternité ce que l'on perd d'expression de son temps? Une oeuvre n'est-elle jamais si forte dans la durée qu'autant qu'elle fait résonner en elle les inquiétudes et les désirs de son présent?
    Set and Reset/You can see us/L'Amour au théâtre, de Trisha Brown - Théâtre national de Chaillot - du 15 au 18 octobre.

    Toussométrie : 3/5

    mercredi 14 octobre 2009

    Vie privée

    Pierre Laville, metteur en scène d'un Baby Doll chroniqué dans ces pages la saison dernière, creuse à nouveau le sillon yankee en adaptant une vielle comédie de moeurs américaine de Philip Barry, The Philadelphia story (ici Vie privée). Point de moiteur sudiste ici, ni d'ouvriers aux mains calleuses ; la tragédie de la jalousie de T. Williams se mue en un délicat chassé-croisé amoureux dans la haute société de la Côte Est. Au centre, une "déesse" qui voudrait descendre de son piédestal (Anne Brochet), idole ennuyée des mondanités W.A.S.P. ; autour d'elle, rien moins que trois prétendants : son fiancé, self-made man énergique un peu besogneux ; son ex-mari, alcoolique (presque) repenti, membre insouciant de la jet-set à la gaieté élégante ; et un journaliste prolétarien introduit presque par erreur dans cette société extraordinaire dont il veut peindre un portrait au vitriol mais qui refermera sur lui le piège de sa séduction.



    The Philadelphia Story, hit à Broadway, fut incarné à l'écran par Katharine Hepburn, Cary Grant et James Stewart. Sans démériter, le line up made in France 2009 laisse le spectateur rêver un peu trop du casting initial et souffre d'un jeu souvent à contre-temps (texte encore mal maîtrisé?). Peut-être peu à l'aise dans ce registre-là, Anne Brochet, au demeurant bien choisie pour sa parenté avec les grandes actrices de l'âge d'or d'Hollywood, endort plus d'une réplique par dédain pour le rythme propre à la comédie américaine des années 1930. En revanche, Julien Boisselier donne encore la preuve de son étincelant talent, alliant un abattage comique très efficace à une finesse d'interprétation hors norme. Ces quelques défaut de finition mis à part, Vie privée offre un moment plutôt agréable aux spectateurs sans toutefois conjurer le spectre de l'ennui qui rôde sur la mise en scène très sage de Pierre Laville.


    Vie privée, de Philip Barry - Mise en scène : Pierre Laville - Théâtre Antoine, depuis le 8 septembre - de17 à 48 euros.


    Toussométrie : moyenne (2/5).

    samedi 3 octobre 2009

    L'Art du Rire

    Dans le plus beau théâtre de Paris, un spectacle au titre terriblement ambitieux, "L'Art du Rire", tient ses promesses à merveille jusqu'au 3 octobre, jusqu'à ce soir 19h (et aussi à 15h30!). Urgence absolue donc à courir rire avec Jos Houben, auteur et comédien unique de ce court traité (1h) sur le rire, décomposition anthropologique de la rigolade - pourquoi et comment rit-on? - à base de bouffoneries subtiles et d'apostrophes au public. Jos Houben s'inscrit avec une aisance sidérante dans la lignée des mimes américains géniaux - Chaplin, Keaton, Lloyd - mais ne lui dîtes pas qu'il fait du théâtre corporel : "quel acteur vient sur une scène sans son corps?".


    L'Art du rire, de Jos Houben - Théâtre des Bouffes du Nord, jusqu'au 3 octobre - 1 h environ - de 12 à 26 euros la place environ.

    Toussométire : 0/5 (nulle).

    mercredi 23 septembre 2009

    Vers toi Terre promise (tragédie dentaire)

    Après le Partage de Midi, reprise d'un spectacle à succès de la Comédie-française, le théâtre Marigny semble s'être donné comme mission automnale de tendre un filet de sécurité aux spectacteurs distraits ou débordés. Cette fois, il nous est donné de (re)voir Vers toi Terre promise, tragédie dentaire de Jean-Claude Grumberg, déjà balladée sur plusieurs scènes de France et d'ailleurs, au théâtre voisin du Rond-Point notamment. M. Grumberg tire un délicat portrait des Spodek, couple "orphelin" de ses filles (l'une est morte à Auschwitz, l'autre ne veut plus sortir du couvent où il s'était réfugiée), pour illustrer une question presque sans réponse : comment continuer à vivre après la catastrophe? La pièce, composée de vignettes de la vie d'après-guerre, souvent drôles, est bien servi par une mise en scène simple et ingénieuse et des comédiens très subtils. Philippe Fretun surtout, qui interprète à la perfection un homme abattu, amer, rejettant la pitié ou même la sollicitude de ses patients ou de ses amis et dont la seule ressource face au malheur semble bien être l'ironie glacée.


    Quelques maladresses dans l'écriture - des passages ressemblant à un "didacticiel" de la Shoah à l'adresse d'un public inculte ou la lecture un peu édifiante de documents administratifs liés à la spoliation et à la restitution des biens juifs (dans la même veine, les Folies coloniales, montées au théâtre de la Villette il y a quelques mois, mettaient à jour beaucoup plus subtilement les mécanismes racistes de l'administration française) - n'entament pas le plaisir du spectateur face à la drôlerie du spectacle.


    Vers toi Terre promise (tragédie dentaire), de Jean-Claude Grumberg - Théâtre Marigny, jusqu'au 22 novembre 2009 - de 29 à 39 euros (promotion web jusqu'au 27 septembre) - 1h45 environ.


    Toussométrie : nulle (0/5).

    jeudi 17 septembre 2009

    Le Partage de Midi

    Mauvais départ

    On oublie vite que l'on n'aime pas quelque chose. Le Partage de Midi a fonctionné sur nous comme une véritable piqûre de rappel du peu d'intérêt qu'on porte à Paul Claudel ; deux heures vingt de nausée et puis on ressort vacciné pour plusieurs années. Pourtant, le spectacle, d'abord monté à la Comédie-Française et repris en franchise par le Théâtre Marigny, est idéal comme un petit pain calibré prêt à consommer. La mise en scène d'Yves Beaunesne démontre un goût parfait ; une scénographie épurée, "classieuse" même, et un quatuor de comédiens très très accordé : Marina Hands, crédible en "femme fatale d'à côté" et beaucoup de métier chez les garçons (surtout Hervé Pierre). Encore faut-il aimer la diction un peu précieuse d'Eric Ruf et pardonner aux comédiens de venir réclamer des applaudissements pour la quatrième fois alors que ceux-là étaient presque complètement éteints.



    Reste le texte ; est-ce parce que l'influence de Claudel n'est pas négligeable que ses mots sur l'amour sonnent aujourd'hui comme des clichés? Qu'il semble qu'on met dans la bouche d'adultes très mûrs des élans maladroits d'adolescents exaltés? Qu'il est bien niais (et d'ailleurs vierge) ce Mesa, cet alter ego de Claudel, qui à défaut d'être moine, ne peut voir rien d'autre en la femme qu'une tentatrice dangereuse jusqu'à la transfiguration pathétique de la traîtresse en ange de miséricorde qui lui promet la communion éternelle au sein de Dieu? Voilà le fantasme enfantin qui conclut la pièce, la fusion maternelle sous l'oeil bienveillant du père, l'Oedipe réconcilié, après deux heures de tirades toutes poisseuses de sentimentalité.


    Le Partage de Midi, de Paul Claudel - Théâtre Marigny, jusqu'au 3 octobre - de 25 à 45 euros - 2h20 env.


    Toussométrie : Faible (1/5) - Salle manifestement captivée.

    mardi 11 août 2009

    Dernières impressions de la saison 2008-2009 (3/3) - La joie

    La joie


    Retour au jeu et à la gaieté juste avant l'été sous les bons augures de la Comédie française de Denis Podalydès qui illumine non pas un mais deux textes italiens : La grande magie, d'Eduardo de Filippo, fable bouffonne et tragique sur la perte des illusions et Il Campiello, de Goldoni, ou le chassé croisé des habitants d'une place de Venise bouleversé par l'arrivée d'un étranger (en l'occurrence un riche Napolitain interprété par M. Podalydès). D'un côté le décor d'un casino- dancing de station balnéaire, de l'autre des hautes maisons serrées les unes contre les autres, panoptique joyeux d'une société qui s'épie, s'interpelle, s'aime et se déteste d'une fenêtre à l'autre, 200 ans d'écart mais les mêmes ressorts : le commérage structurant le lien social, la jalousie et le désir de possession de l'amour, les faux-semblants et les illusions perdues qui rendent fou (la grande magie) ou qui jettent une ombre menaçante sur le futur des personnages (il campiello). Deux spectacles presque parfaits, servis par des comédiens au top. Comme a dit mon voisin à la fin de la grande magie, "le type en pyjamas, je sais pas qui c'était mais il est phénoménal".



    Dernières impressions de la saison 2008-2009 (2/3) - Le crépuscule

    Le crépuscule

    A côté de ces anecdotes vite consommées vite oubliées (voir post précédent), la fin de saison a été l'occasion d'assister à quelques beaux crépuscules. Au Minetti de Thomas Bernhard, qui a mis le Tout-Paris en émoi (venu contempler au théâtre de la colline la flamme bien pâle de Michel Piccoli dont les chevrotements rendaient ce texte répétitif presque inaudible), on a préféré sur les mêmes planches la dernière mise en scène d'Alain Françon, La Cerisaie d'Anton Tchekhov, baignée dans la douce et mélancolique lumière de fin du jour. On y a croisé pour la toute dernière fois Jean-Paul Roussillon interprétant un Firs fier et touchant ; à ceux qui se souviennent de ses yeux très bleus dans son corps tout rond, je conseille de faire un tour sur le site de la comédie française en ce moment ; on y croise M. Roussillon dans l'exotique éclat de sa jeunesse. Et puis, le cinéma, qui nous permettra encore d'entendre sa voix (dans le Mischka de Jean-François Stévenin ou le Conte de Noël d'Arnaud Desplechin par exemple). Enfin, L'Amante anglaise au théâtre de la madeleine présentait une héroïne durassienne incarnée avec finesse par Ludmila Mikaël, neurasthénique, perdue, passionnée, martyre et bourreau (Claire Lannes, qui tua sa cousine avant de démembrer son corps sans jamais parvenir à expliquer réellement son geste). Sur une scène dépouillée, sombre, l'histoire de la fin d'une vie et de la fin de la raison.


    Dernières impressions sur la saison 2008-2009 (1/3) - la violence

    Fin de saison mouvementée et émouvante que je n'ai pas pu commenté au jour le jour ; pas par manque de temps mais plutôt d'envie et d'inspiration suscitée par le dernier spectacle d'Emma Dante au théâtre du Rond-Point.

    La violence

    Le Pulle, c'est à dire les prostituées de Palerme, ville natale, lieu de travail et principale inspiration de l'auteure et metteure en scène ; des prostituées transgenres, désirées, convoitées, haïes, battues, violées par les habitants violents et contradictoires d'une cité déchue. C'était un spectacle punk, une performance, une provocation, orchestrée presque au fouet par une Emma Dante commentant l'action, chantant, abattant le décor (littéralement) au péril de ses acteurs ; des acteurs grimés, des hommes pourvus de perruques et de faux seins, des femmes dotées d'énormes godemichés, des poupées gonflables pour tous! Mais des acteurs qui ne jouent pas vraiment, qui se font vomir sur scène (littéralement aussi)... Points de suspension dans la salle, faut-il partir ou rester? Faut-il regarder la souffrance physique comme un spectacle, un combat de gladiateurs contemporain, l'exposition d'entrailles humaines comme remède à la curiosité morbide de citadins blasés en quête de sensations toujours plus fortes? Autant de questions auxquelles je ne sais pas répondre sans recourir aux outils trop simples de la morale et du bon goût.

    J'en retiens néanmoins une sensation amère, celle de ne pas pouvoir aimer pleinement quelque chose à laquelle on voudrait adhérer (l'audace, l'engagement physique), parce que les voies empruntées par cet anti-conformisme semblent aujourd'hui prévisibles, banales et presque complètement appropriées par la culture dominante, voire la culture d'Etat. Etrange sensation que d'entendre les professeurs de français qui avaient eu l'idée saugrenue d'amener leur classe de 4ème à ce spectacle enjoindre leurs élèves agités et interpellés par la pièce de se taire, de ne pas rire, de pas crier et de rester assis! Voilà le dressage des futurs spectacteurs (de théâtre, de télévision, de leur vie?) à qui l'on inculque la foi dans l'existence d'une barrière symbolique : aux artistes officiels le métier de la critique et de la provocation, soupape nécessaire à la préservation de l'ordre social, aux autres la soumission quotidienne et la catharsis ponctuelle à opérer dans un silence religieux!

    Le Pulle a pourtant le mérite paradoxal d'une cohérence totale dans son esthétique et son propos, un refus de la provoc' tiède et polie que l'on a malheureusement retrouvée plus tôt dans l'année chez Jean La Chance, pièce de jeunesse de Brecht montée au théâtre de la Bastille par des membres de Berurier noir. Casting mode (Clotilde Hesme, avec du talent mais non sans maladresse - voir la partie "accent campagnard", très ratée), chansonnettes punk hurlées/dansées et quelques codes brechtiens de rigueur (plateau visible, comédiens qui se changent au fond de la scène, interpellations du public) pour une adaptation un tantinet superficielle de la pièce. Même problème de positionnement pour la dernière création du chorégraphe Wim Vandekeybus au théâtre de la Ville (Nieuwzwart) : ambiance glauque, orchestre rock mi-psyché mi-bourrin, des danseurs qui se tortillent tous nus après avoir été découverts sous une immense couverture de survie dorée, qui se cognent contre les murs, bref une sorte de Rocky horror picture show qui se prendrait bien trop au sérieux.

    samedi 28 mars 2009

    Baby doll

    Maison de poupée


    Certains spectacles imposent aux spectacteurs, dès le lever de rideau, la saveur du travail honnête. Le décor de Laurence Bruley, agréable, lisible et simple, donne le ton : la maison de Baby Doll, bicoque du Sud en bois, sur deux étages (ce qui offre ensuite une bonne dynamique à la mise en scène) est bien plantée. La mise en scène de Benoît Lavigne est à l'unisson ; respectueuse de l'esprit du texte de Tennessee Williams (adapté par Pierre Laville), soucieuse de véracité historique et misant sur le professionalisme des comédiens, elle ne s'autorise guère de fantaisie ni de distance par rapport à son matériau.



    Ce rapport humble au texte est payant ; on passe deux heures sans temps mort au coeur de la moiteur du bayou, avec des comédiens dont le talent est soutenu par une maîtrise technique solide (Chick Ortega en mari jaloux, deux seconds rôles truculents tenus par Monique Chaumette et Théo Légitimus), au premier rang desquels Xavier Gallais (Silva Vacarro), très bien dans son rôle de séducteur ténébreux animé du désir de vengeance et surtout Mélanie Thierry (Baby Doll), époustouflante tant elle campe avec profondeur et drôlerie la fraîcheur candide et la sensualité hésitante de son personnage.


    Toussométrie : faible (0.5/5)


    Baby Doll, de Tennessee Williams - Mise en scène : Pierre Lavigne - Théâtre de l'Atelier - Jusqu'à fin juin 2009 - De 7 à 39 euros


    jeudi 26 mars 2009

    Casimir et Caroline

    Trink, trink, trink

    Ödön von Horvath, l'auteur de Casimir et Caroline est mort écrasé par une branche d'arbre lors d'une tempête, à Paris où il s'était réfugié à l'aube de la seconde guerre mondiale. Mort absurde pour un homme qui avait résisté vent debout à la montée du nazisme en Allemagne et en Autriche. Dans Casimir et Caroline, on sent le souffle de l'auteur militant et du poète qui peint, sans concession à la morale ou à l'esthétique, la vie de ses contemporains. Casimir (Thomas Durand) et Caroline (Sylvie Testud) s'aiment et se rendent à la fête d'octobre ; mais s'aiment-ils assez pour rester ensemble alors que Casimir vient de perdre son travail, dans une époque où chacun lutte pour sa survie quotidienne? Caroline se laisse tenter par un tour de montagnes russes offert par un tailleur bourgeois ; c'est le début d'une nuit de disputes et de doutes, où Caroline et Casimir, portés par la foule ivre de bière (beaucoup de bière) et de vitesse, se perdent et se retrouvent, telles de frêles embarcations sur des flots déchaînés.


    Le théâtre de la Ville est un écrin à double tranchant pour Casimir et Caroline ; la scène est immense, bordée par une salle où les spectateurs sont alignés en pente raide. Le metteur en scène, Emmanuel Demarcy-Mota et son scénographe, Yves Collet, ont indéniablement réussi à transfigurer ce vaste espace en fête foraine munichoise aux accents expressionistes, fatras d'échafaudages précaires et des recoins interlopes, plongé dans une lumière glauque à souhait. Quelques tableaux sont marquants : celui où les jeunes fêtards glissent sur un rythme effréné sur les toboggans de la foire ou le passage de Caroline dans la tente aux "monstres". Mais dans cette immensité frénétique, cette mer sombre d'excitations artificielles, on perd un peu de vue nos deux protagonistes dont l'histoire est presque reléguée au rang de bruit de fond, malgré le très grand talent de Sylvie Testud. Est-ce à dire que le mouvement de l'histoire est un rouleau compresseur pour les destins personnels, et que ceux-ci ne sont qu'une suite de faux hasards conditionnés par la mécanique sociale?


    Le retournement de l'ordre dramatique, où la romance n'est qu'une toile de fond aux mouvements de masse, tient peut-être trop à distance le spectacteur et lui rend difficile l'émotion et l'empathie. Malgré la qualité du travail que l'on voit là, il n'est pas aisé de se défaire du sentiment d'assister à une "super-production" un peu froide, et donc un peu vaine...


    Toussométrie : faible (1/5)


    Casimir et Caroline, d'Ödön von Horvath - Mise en scène : Emmanuel Demarcy-Mota - Théâtre de la Ville - Jusqu'au 27 mars 2009 - De 12 à 20 euros environ - Il n'y a plus de places en vente pour ce spectacle.

    mercredi 25 mars 2009

    Folies coloniales

    La colonisation passée en revue


    Au théâtre de la Villette, la troupe des "Passeurs de mémoire" conduite par Dominique Lurcel (aussi metteur en scène du spectacle) fait revivre sur les modes du cabaret et de la revue les discours officiels, parades, opérettes...créés à l'occasion de la célébration du centenaire de l'Algérie française en 1930, le tout éclairé par des extraits de manuels scolaires, de guides touristiques, de revues scientifiques et de romans rédigés au cours de ces cent années qui séparent la prise d'Alger des célébrations cocardières emmenées par le président Doumergue.


    Le dispositif est épatant d'ingéniosité. Comment faire entendre aujourd'hui ces discours coloniaux pétris de racisme institutionnel et confits de certitude sur la magnanimité de l'entreprise "civilisatrice" de la France ? Comment convaincre un public de s'intéresser à ces textes ineptes qui n'en sont pas moins un matériau historique primordial pour comprendre les mécanismes de l'entreprise coloniale? Dominique Lurcel et sa troupe optent pour le burlesque et la dérision : au centre du plateau, un petit théâtre, presque un guignol, dont le rideau bleu-blanc-rouge s'ouvre sur les figures rendues grotesques de notre histoire.

    Le spectacle est donc tout à la fois très drôle, émaillé de morceaux de bravoure d'une saveur incomparable (le tableau du banquet républicain, exceptionnel) et horriblement gênant tant on est saisi de honte, voire d'effroi, à la lecture des textes. Ces passeurs de mémoire là réussissent la prouesse de nous édifier et de nous divertir à la fois ; voilà un tour de force théâtral comme on en voit peu, et qu'il faut courir découvrir le soirées qu'il reste!


    Toussométrie : forte (4/5)


    Folies coloniales, de Dominique Lurcel - Mise en scène : Dominique Lurcel - Théâtre de la Villette - Jusqu'au 28 mars seulement! - de 5 à 15 euros

    mardi 24 mars 2009

    Sables et soldats

    Billet triste


    C'est un peu triste et poignant de quitter une salle sur une déception personnelle et sur les applaudissements clairsemés et hésitants des spectateurs ; c'est encore plus triste lorsque le metteur en scène, dans un élan brechtien, a décidé que ce ne serait pas son texte (car il est aussi auteur) ni sa mise en scène qui indiqueraient la fin du spectacle, mais la rétro-projection au mur de ces mots (de mémoire) : "La représentation est terminée, rentrez bien", en plusieurs langues juste au cas où le public de Gennevilliers prêt à en découdre avec "Sables et soldats" d'Oriza Hirata pendant deux heures ne maîtrise pas le français. Encore pire lorsque les comédiens n'ont pas le droit au salut final, mais doivent rester dans la peau de leur personnage et traverser, un à un, et très lentement, le plateau, comme ils viennent de le faire pendant toute la pièce.

    Le spectacle était donc exigeant et aride, comme le décor : un gros tas de sable dans lequel rampent et trébuchent les comédiens, et encore du sable qui s'écoule d'un sac pendu au plafond, pour un résultat parfaitement suffocant et un record de toussométrie prévisible. Le désert figuré ici voit se croiser des soldats (de ceux qui sont postés au Moyen-Orient en ce moment), des touristes en lune de miel, une lady perdue recherchant son mari, un père qui recherche avec sa fille sa femme perdue (redondance inutile de ces personnages d'ailleurs). Collision des figures sordides de la banalité contemporaine qui, au fond, n'ont rien à se dire, et marchent dans le désert sans but réel, comme on le découvre progressivement.




    Là, le dramaturge invoque Beckett ; nul "sens", nulle direction, mais bien la spirale absurde d'un éternel recommencement. Malheureusement, le texte, étiré à l'extrême et entrecoupé de très pesants silences (et qui pâtit peut-être aussi d'une traduction assez fade?) semble lui-même souffrir d'une telle vacuité que l'on se prend à douter de la nécessité du geste dramatique. Les comédiens, dont on entrevoit pourtant les qualités personnelles, ne parviennent à donner du relief à aucune situation, même comique, et laissent les spectateurs s'enfoncer dans une profonde torpeur. Une exception sans doute, l'irruption sur le plateau de deux comédiens japonais, Mima Fukushi et Tatsuya Kawamura, dont la diction maladroite matinée d'un fort accent sert encore une présence scénique drôlatique indéniable et une compréhension du texte plus affûtée que chez les autres comédiens.

    Peut-être est-ce ainsi qu'il serait bien d'entendre "Sables et soldats", dans sa langue ou sa forme originelles, sans l'artifice de l'adaptation au contexte français?

    Toussométrie : très forte (4.5/5)

    Sables et soldats, d'Oriza Hirata - Mise en scène : Oriza Hirata - Théâtre de Gennevilliers - Jusqu'au 11 avril - de 11 à 22 euros - Environ 2 heures




    vendredi 20 mars 2009

    L'Ordinaire

    Tupi or not tupi

    Les anthropophages brésiliens peuvent être fiers de Michel Vinaver ; à la question posée par Oswald de Andrade en 1928 dans le Manifeste anthropophage, "Tupi or not tupi, that is the question", il répond par un grand "oui!" .

    Dans "L'Ordinaire", qui rentre au répertoire de la Comédie-Française, un jet transportant l'état major d'une multinationale américaine du préfabriqué s'écrase dans les Andes. Beaucoup survivent à l'accident : le PDG, sa femme et sa secrétaire, trois vice-présidents et la maîtresse de l'un, la fille d'un directeur mort sur le coup. Pour nourriture, le quotidien d'un avion de luxe : des alcools forts, des olives, des carrés de chocolat et quelques crackers... assez pour attendre des secours, dépêchés par un Pinochet pressé par Reagan...mais ceux-ci renoncent après quelques jours. Comment survivre alors dans ce désert de neige? La jeune femme brise le tabou : ce sont les cadavres que l'on mangera...

    Inspirée du fait divers du même tonneau qui marqua les esprits dans les années 1970 (pauvre équipe de rugby d'Uruguay), la pièce de Vinaver traite de front l'argument théorique du "mangera/mangera pas". Pas tant en développant une discussion morale et philosophique sur la validité du choix cannibale (plutôt l'occasion de bouffoneries de la part de la bigote Bess), qu'en en examinant sans fausse pudeur les conséquences pratiques : comment dépasser le dégoût et sublimer la nourriture, comment découper et conditionner la "viande" et comment la digérer. Mais l'auteur ne s'en tient pas là ; autour de ce noyau central, il agglomère une foule de thèmes secondaires (l'obsession du pouvoir dans la mécanique capitaliste, la séduction et la fidélité, qui étreignent des personnages oublieux de leur sort, encore absorbés par les enjeux de leur vie d'avant le crash) et tend en arrière-plan la toile tragique de la soumission politique et économique de l'Amérique latine des années 1970 et 1980.

    Ce beau matériau est servi par des comédiens convaincants, surtout les dames : drôlerie irrésistible de Sylvia Bergé (Bess), qui tire son personnage de la ridicule bourgeoise du début vers une femme légère et tendre qui "se sent bien" dans la carlingue-épave, piquant de la jeune Priscilla Bescond (Nan), midinette délurée se muant en aventurière décidée, et force de Léonie Simaga à qui la tâche revient d'être l'inspiratrice pragmatique de la survie (Sue), et dont le jeu s'affirme à mesure que la pièce avance. A notre représentation, Elsa Lepoivre, souffrante, était remplacée par Florence Viala "avec le texte", qui réussissait à n'être pas mal du tout (elle était super dans "Fantasio" sur la même scène).

    La mise en scène, assurée par Michel Vinaver et Gilone Brun, repose toute entière, outre les comédiens, sur un plateau central qui bascule vers les sièges des premiers rangs (mangeant ainsi l'espace du spectateur), véritable "radeau de la méduse" minimaliste. Le reste est très épuré, peut-être trop, de cette sécheresse qui demande beaucoup aux spectateurs ; ici, c'est le texte qui prime, et la présence de l'auteur comme metteur en scène n'y est peut-être pas pour rien. C'est de la chair dont on a envie autour de ce squelette de décor ; Michel Vinaver a peut-être pris plaisir à ne pas satisfaire notre appétit...mais pas de quoi nous dégoûter de cette pitance peu ordinaire.


    Toussométrie : forte (4/5)

    L'Ordinaire, de Michel Vinaver - Mise en scène : Michel Vinaver et Gilone Brun - Comédie-Française, salle Richelieu - Jusqu'en juin 2009 - de 11 à 37 euros - environ 2h30.

    lundi 16 mars 2009

    Voix off

    Voix de Denis Podalydès



    Lundi dernier, le 9 mars, Denis Podalydès lisait au théâtre de l'Odéon des extraits de son opus "Voix off", sorti l'année dernière, et quelques inédits. "Voix off" est le récit de la vie de Denis Podalydès, son enfance, sa formation artistique, ses premiers chocs esthétiques au théâtre, au travers de l'évocation des voix qui l'ont marqué et presque façonné : "Voix de Jean Vilar", "Voix d'Antoine Vitez", etc... "Voix off" est un considérable travail de réminiscences, de voix et de sons, infiniment précis, qui témoigne de l'obsession du comédien pour la matière vocale.

    Le livre est accompagné d'un disque compact, où l'on entend mêlées archives sonores et imitations par M. Podalydès : l'imitation, art populaire parfois grossier, voué à la moquerie ou à la supercherie, devient chez lui le support d'un hommage ému mais jamais empesé. Car bien sûr, du côté de Versailles, on n'oublie jamais d'être drôle et léger, creusant la veine de l'autodérision attendrie propre à la tradition familiale.



    C'était donc une très bonne idée que d'offrir une lecture de quelques passages traitant du théâtre et de ses grandes figures, à un public fanatique et très érudit. Avec peu de moyens et ce charisme si particulier du discret, il l'a tenu en haleine à coups d'anecdotes drôlatiques (hilarant épisode des charentaises de Simon Bakhouche) et d'invocations presque sacrées des morts illustres. Cela marche même lorsqu'on n'en a jamais vu un seul sur scène (cf. moi). Espérons donc que Denis Podalydès renouvelle encore cette proposition.


    Toussométrie : faible (1/5)


    "Voix off ", par Denis Podalydès, éd. Mercure de France, coll. Traits et portraits, 25 euros.

    mardi 10 mars 2009

    Booster blog

    Ai inscrit le blog sur boosterblog, pour le booster ; )




    dimanche 8 mars 2009

    La Mort en échecs

    Bergman en boulevard

    Changement d'ambiance pour le blog avec cette première virée dans les petits caveaux de Paris ; le théâtre des blancs manteaux en l'occurrence qui accueille une comédie déjà rôdée au théâtre André Bourvil. La mort en échecs met en scène un couple, dont chaque membre est retranché dans une moitié de leur appartement en attendant que l'un se décide à partir, et qui reçoit un soir la visite de...la Mort.



    Une Mort un peu mijorée qui fait son travail du bout de la faux et qui prend volontiers les conseils de ses victimes pour gagner en assurance. Le reste de l'intrigue est à l'ancan et offre tous les plaisirs de la comédie légère, quiproquos et retournements de situation à gogo. Les comédiens, très généreux, jouent à fond la carte de la connivence avec le public (la pièce aussi, truffée de références à la culture populaire contemporaine) et montrent aussi beaucoup de complicité entre eux (ce soir-là, Caroline Anglade, Philippe Blondelle et Rui Silva ; ils jouent en alternance). On rit donc beaucoup et on se retrouve sur le pavé de la rue des blancs manteaux le coeur léger.
    Toussométrie : nulle (0/5)

    La Mort en échecs, d'Olivier Maille - Mise en scène : Olivier Maille - Théâtre des Blancs Manteaux - Du jeudi au samedi à 20h45 - 17/20 euros

    vendredi 6 mars 2009

    Quand le monde était vert

    I was born by the river

    La Manufacture des Abbesses, jeune théâtre créé en 2006, lové dans une rue montmartroise de carte postale tout près de la très belle église Saint-Jean, s'est donné comme raison d'être la création de textes contemporains. Hier soir, c'était donc un morceau de dialogue poétique dont les racines plongeaient au coeur de l'americana, par Sam Shepard (par ailleurs acteur et scénariste pour Wenders, Antonioni ou Altman), que proposait la Compagnie "Ah! ".

    Le public entre dans la salle au son d'une flûte indienne. Une jeune femme rend visite à un vieux Peau-Rouge, en prison pour avoir empoisonné un homme. D'où vient la jeune femme et que cherche-t-elle auprès du vieillard assassin? Pour assouvir quelle vengeance l'Indien a-t-il tué? Le dialogue entre ces deux représentants un peu paumés des marges américaines, d'abord tendu, méfiant, glissera petit à petit vers la compassion et la tendresse. Le récit de leurs vies, de leurs errances et de leurs plaisirs (la nourriture, le goût - le prisonnier fut cuisinier) est ponctué par la musique d'un troisième comédien (Timothée Couteau, musicien multi-instrumentisme de profession), dont la présence silencieuse et fantomatique évoque le souvenir des morts qui hantent les esprits.

    Michel Carnoy, dans le rôle du grand chef - chef cuisinier, chef indien - , est parfait ; il nous fait partager la trajectoire d'un homme d'abord prostré par l'horreur de son acte, herratique, vers une paix finale au seuil de la mort. On sent beaucoup de talent et de métier dans sa prestation, qui ne cède jamais au sentimentalisme que la pièce pourrait susciter mais qui touche juste. Le duo qu'il forme avec Marie Le Cam fonctionne bien ; même si une plus grande modulation de son jeu pourrait assouplir sa prestation, la comédienne fait tout de même preuve d'une belle intensité émotionnelle, au plus près de l'écorchée vive qu'elle incarne.

    Quand le monde était vert est une réussite humble mais incontestable, entièrement portée par les comédiens qui ne s'appuient sur aucune béquille de mise en scène. Il est dommage de constater que le public soit si peu nombreux (en tout cas le soir de notre représentation) pour applaudir leur talent et l'audace de montrer une pièce inédite à Paris, alors qu'on le trouve en nombre pour assister pour la centième fois à un Oncle Vania somptueux mais ô combien sage.

    Toussométrie : faible (1/5)
    Quand le monde était vert, de Sam Shepard - Mise en scène : Antoine Herbez - Manufacture des Abbesses - Jusqu'au 11 avril - De 13 à 24 euros (un flyer distribué après la représentation indique qu'une place gratuite était offerte pour toute place achetée).

    jeudi 5 mars 2009

    Importation du blog

    Ce blog a été transféré depuis l'ancienne adresse suivante : http://iblogyou.fr/spectacles-font-ils-tousser

    mercredi 4 mars 2009

    Oncle Vania

    Dans la forêt de bouleaux

    Il s'agit ici de la mise en scène de Claudia Stavisky aux Bouffes du Nord et non de la version donnée par le collectif des Possédés au théâtre de la Bastille. On peut s'interroger sur l'opportunité de programmer la même pièce dans la capitale à des dates identiques, si ce n'est pour le plaisir des fanatiques de Tchekhov ou de mise en scène comparée.

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    Toujours est-il que pour notre toussomètre, le début d'Oncle Vania est un régal puisqu'il s'agit de l'entrée en scène du docteur Astrov (Philippe Torreton) pris de toux ; miracle de la grégarité humaine, le public se met à tousser à l'unisson. Les gorges bien éclaircies, les comédiens peuvent mettre en place l'univers de neurasthénie provinciale propre à l'auteur. Didier Bénureau, surprise de la distribution, campe un Vania ridicule et touchant, drolatique et désespéré. P. Torreton quant à lui parvient à ne pas prendre trop de place et incarne avec beaucoup de sensualité la séduction ambigüe d'un médecin excentrique et alcoolique. Le reste des interprètes, quoique leur travail soit très soigné, est moins marquant. Le jeu de Marie Bunel notamment semble manquer de densité et de présence (mais c'est peut-être ce qu'il fallait pour le personnage d'Elena, jeune épouse d'un vieux professeur, oisive, ennuyée et comme absente à elle-même) tandis qu'Agnès Sourdillon, un peu âgée pour le rôle, appuie sans doute trop le côté terrien du tempérament de Sonia.

    La mise en scène, servie par de somptueux décors et des astuces de plateaux (l'estrade mouvante, la table qui se déplace comme par magie), ne fait pas preuve d'une folle audace. Beaucoup de savoir faire mais trop de sagesse, tel est l'Oncle Vania proposé ici.

    Toussométrie : Forte (4/5)

    Oncle Vania, d'Anton Tchekhov - Mise en scène : Claudia Stavisky - Théâtre des Bouffes du Nord - Jusqu'au 3 avril 2009 - de 12 à 26 euros.

    Je t'ai épousée par allégresse

    Comédie sentimentale

    On avait réservé des places pour voir ce spectacle, un peu à l'aveugle, et d'abord pour les comédiennes : Valeria Bruni-Tedeschi, pour l'impatience d'avoir devant soi, en chair et en os, l'actrice de cinéma ; et Edith Scob, pour la fulgurance de ses apparitions (voir L'Heure d'été, d'Olivier Assayas, où elle était à peu près la seule chose de bien). Et puis, stupeur, dans l'intervalle entre la réservation et la représentation, un déluge de critiques s'abat sur la toile. Superficiel, longuet, sans intérêt, les internautes estiment qu'il est bien inutile de se déplacer.

    Aurait-on moins aimé si l'on n'y était pas de ce fait allé à reculons? Le plaisir que l'on a ressenti ne relèverait-il en fait que du soulagement? A t-on voulu compenser par notre enthousiasme les sièges vides dans une salle un vendredi soir?

    Toujours est-il qu'on a trouvé notre compte dans cette comédie légèrement amère, qui parle sans s'apesantir de la possibilité, ou non, du couple. Il y a de la mélancolie bouffone, une bonne émancipée et des spaghetti au beurre ; un air de pop italienne, une mamma foldingue et pincée (merveilleuse Edith Scob), pas du tout dans les clichés, et l'histoire d'une femme qui se promenait dans les rues en attendant qu'un réalisateur de Cinecitta la remarque.

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    Peut-être que le sentiment de futilité ressenti par certains vient de ce que les monologues assez longs, de Giuliana surtout (V. Bruni-Tedeschi), ne servent pas un grand propos, ni un message à l'adresse du public. On n'en retient que quelques filaments de sa vie ; qui étaient sa mère, ses premiers amants ; là où elle a travaillé, ou plutôt d'où elle a été renvoyée. La seconde partie de la pièce dépeint un déjeuner familial, son ennui, l'impasse de la conversation puis finalement la griserie et la joie éphèmères d'un bon poulet rôti arrosé de bon vin. C'est très simple, modeste et cela penche un peu vers le boulevard. C'est une dramaturgie du quotidien, sans coup d'éclat, mais qui pose, discrètement, les bonnes questions sur la nature du lien conjugal.

    La mise en scène de Marie-Louise Bischofberger est à l'unisson du texte et la galerie de personnages secondaires est excellement servie par des comédiennes exceptionnelles (Edith Scob donc, mais aussi Marie Vialle en bonne indispensable et Armelle Bérengier au sommet du burlesque). V. Bruni-Tedeshi et Stéphane Freiss étaient un peu hésitants le soir de notre représentation. Ils devraient prendre en assurance car le spectacle mérite mieux que les échos qu'il reçoit.

    Toussométrie : Moyenne (2/5)

    Je t'ai épousée par allégresse, de Natalia Ginzburg - Mise en scène : Marie-Louise Bischofberger - Théâtre de la Madeleine - Jusqu'en avril 2009 - de 17 à 48 euros.

    lundi 23 février 2009

    Le Cas Blanche Neige

    Le conte expliqué aux adultes

    Blanche Neige est un cas. Jeune et fraîche, elle n'a qu'une seule obsession et qu'une seule angoisse : être en mesure de séduire autant que sa belle-mère, la Reine, séduit les hommes. Mais la tâche n'est pas simple car, comme dans Gertrude (Le Cri) du même auteur, Howard Barker, monté à l'Odéon en janvier, cette mère d'âge mûr et de surcroît (prétendûment) stérile exerce une attraction irrésistible sur tous les hommes qui l'approchent.

    Frédéric Maragnani a choisi pour mettre en scène ce conte déviant un plateau très dépouillé ; en son centre, une sorte d'ascenceur dont les portes s'ouvrent parfois, sur la forêt, ou plutôt sur l'inconscient et la transgression des personnages : dans la forêt, la Reine s'ébat avec le garde-chasse et Blanche Neige se tape... les sept nains! Le choix des comédiens est intelligent et le travail des corps soigné. Le supplice final de la Reine, vraie fin du conte de Grimm, montre un art de la suggestion consommé de la part du metteur en scène et une grande force d'incarnation de la comédienne, Marie-Armelle Deguy : on est réellement saisi d'effroi lorsqu'elle commence à chausser ses escarpins chauffés à blanc.

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    Dans l'émission déjà citée dans mon post du 17 février 2009, M. Maragnani expliquait la difficulté qu'il avait eu à trouver la mise en scène adaptée à ce tableau ; pour lui, Howard Barker n'écrit pas ses pièces en pensant à leur représentation. La solution qu'il a trouvée est belle, mais la danse jusqu'à épuisement de la Reine est éludée ; dans sa Blanche Neige, Angelin Preljocaj proposait lui une saisissante solution dansée. Ces deux traitements illustrent bien la divergence des approches de ce conte presque universel adoptées par ces deux spectacles.

    Alors qu'Howard Barker s'acharne à expliciter le sous-texte fantasmatique du conte, avec une certaine force dans le trait mais sans grande subtilité (et que le metteur en scène allège en tirant l'ensemble vers la farce), M. Preljocaj respecte la fonction initiale du conte ; celle d'exorciser les angoisses et les fantasmes du lecteur par le biais de "paravents" narratifs, de situations symboliques. Ainsi, malgré la réussite incontestable du très explicite Cas Blanche Neige, on préfère tout de même une Blanche Neige chorégraphiée qui laisse encore aux spectateurs leur part d'imagination et d'interprétation.

    Toussométrie : Calme (1/5).

    Le spectacle n'est plus à l'affiche à Paris.

    Commentaires :

    - la problématique de la pièce selon son metteur en scène : http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Le-Cas-Blanche-Neige-Comment-le-savoir-vient-aux-jeunes-filles/ensavoirplus/

    - http://www.ruedutheatre.info/article-27840253.html

    - http://culturofil.net/2009/02/13/le-cas-blanche-neige-de-howard-barker/

    - http://www.spectacles.fr/le-cas-blanche-neige/avis

    - http://www.laboiteasorties.com/2009/02/odeon-le-cas-blanche-neige-comment-le-savoir-vient-aux-jeunes-filles/

    - http://theatredublog.unblog.fr/2009/02/05/le-cas-blanche-neige/

    vendredi 20 février 2009

    L'air vicié du temps 2

    Quelques investigations complémentaires grâce à l'ami google viennent enrichir le répertoire de références sur la toussométrie au théâtre :

    - Clémence Hérout, qui blogge pour le théâtre de l'Athénée, élabore une typologie du tousseur des théâtres parisiens : l'intempestif, l'inopportun, le mondain... et l'innocent souffreteux. Ils ont chacun une bonne raison de tousser, dont celle de donner son opinion sur la pièce ou d'éviter de pleurer.

    http://blog.athenee-theatre.com/index.cfm/2008/12/17/Kof-kof

    Aussi, grosse controverse dans les commentaires sur l'opportunité ou non du bonbon au miel ou de la pastille mentholée pour enrayer la toux.

    - La désencyclopédie, détournement de wikipédia (ou "la source en pleine évolution d'informations utiles et fiables, écrite entièrement par des singes savants") , nous offre, dans un article globalement très instructif sur le théâtre en général et en particulier, une explication à la toux des spectateurs : c'est pour faire sentir aux comédiens que le public est bien là.

    http://desencyclopedie.wikia.com/wiki/Th%C3%A9%C3%A2tre#Le_public

    - Du blog de Flop, qui n'est plus très actif (en tout cas pour sa rubrique théâtre), un morceau de mémoire numérique échoue sur la plage de google. C'est fascinant puisqu'il nous parle d'un spectacle de danse de Sasha Waltz monté un 2006 où l'on faisait tousser le public exprès. Pourquoi? Lisez ici :

    http://www.favoritechoses.com/flop/2006/05/a_mare_basse.html

    Enfin, finissons cette revue provisoire par une nouvelle citation bien à propos : "Le talent d'un auteur consiste moins à faire applaudir ses pièces qu'à empêcher le public de tousser." C'est Marcel Achard qui l'a dit.

    mercredi 18 février 2009

    La Dispute

    Spectaculaire cruauté

    Peut-on reprocher au théâtre d'être trop théâtral? C'est ce que l'on aimerait s'autoriser à dire à l'écoute du prologue de La Dispute, de Marivaux, mis en scène par Muriel Mayette au Vieux-Colombier, succursale boisée de la Comédie-Française. Le Prince (Thierry Hancisse) et Hermiane (Marie-Sophie Ferdane) y posent les fondements de leur dispute (de l'homme ou de la femme, qui a trahi en premier?) de la plus irritante des manières : affectations inutiles et gesticulations stéréotypées (ah, les brusques mouvement de redingote...) rendent le texte opaque au spectateur.

    Bien heureusement, un coup d'éclat du Prince, qui retourne le décor en un claquement de mains, marque une rupture de ton. Le Prince découvre pour Hermiane l'expérimentation entamée dix-huit ans plus tôt par son père : quatre enfants, deux filles et deux garçons, ont été élevés, loin du monde et isolés les uns des autres par deux domestiques noirs. Désormais adultes, mais réellement sauvages et sans repères, ils sont présentés les uns aux autres sous le regard scrutateur du Prince et d'Hermiane logés dans une lucarne surélevée ; ils espèrent ainsi épuiser leur controverse grâce à cette expérience in vivo.

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    Pantins démunis face à l'irruption de l'autre, manipulés par leurs domestiques/maîtres, les quatres jeunes gens seront les victimes de l'artifice du Prince, que la scénographie (d'Yves Bernard) rend à merveille : prisonniers d'un cocon de bois dans lequel on entre ou sort par des trappes tournantes et imprévisibles, ils aimeront sans conscience et souffriront sans comprendre. En vain, car nulle réponse ne viendra trancher la Dispute. Sacrifiés pour le divertissement de spectacteurs curieux de leur destruction, Eglé et Azor, Adine et Mesrin, peuvent contempler leur nombreuse descendance : Loft story et Ile de la tentation, dont les participants réclament aujourd'hui le statut de... comédiens.

    Toussométrie : Calme (1/5)

    La Dispute, de Marivaux - Mise en scène : Muriel Mayette - Comédie-Française / Vieux-Colombier - Jusqu'au 15 mars - 1h30 environ - 28 €.

    http://www.comedie-francaise.fr/dev/saison_spectacles.php?spid=123

    Autres opinions :

    http://www.lexpress.fr/culture/scene/theatre/la-dispute-au-theatre-du-vieux-colombier_739925.html : Christophe Barbier souligne la critique du mythe du "bon sauvage" mise en relief par Muriel Mayette.

    http://theatredublog.unblog.fr/2009/02/04/la-dispute/

    http://www.journal-laterrasse.com/la-dispute-1-3774.html

    Et Muriel Mayette dans l'émission de Laure Adler sur France Inter :

    http://www.radiofrance.fr/franceinter/em/studiotheatre/index.php?id=76532

    mardi 17 février 2009

    L'air vicié du temps

    Votre serviteur se félicite de l'incroyable flair qui lui a fait créer un blog dont le sujet agite déjà le milieu critique et les gens de l'art ; quelle remarquable immersion dans l'esprit du temps!

    Prenons-en pour preuve l'article paru dans Le Monde du mardi 17 février 2009, en page 20. On peut lire dans le compte-rendu (de Marie-Aude Roux) du récital donné par la soprano Nina Stemme à Strasbourg l'information suivante :

    "A Strasbourg, on ne badine pas avec la toux. Le récital de la soprano suédoise Nina Stemme a commencé par une annonce sans ambages, après l'habituelle objurgation appelant à museler les téléphones portables : "Nous vous prions également de bien vouloir maîtriser vos quintes de toux ou de quitter la salle si nécessaire en toute discrétion."

    Damned, miss Stemme! Voilà une tactique aussi finement ourlée que votre voix pour faire taire le toussomètre ; love it or leave it, la Suédoise ne chantera que dans un silence...religieux. Tout le monde ne peut pas se payer ce luxe de maîtresse de vieille école ; c'est ce que constate la comédienne Francine Berger, dans l'édition du 2 février dernier de l'émission "Comme au théâtre" sur France Culture (présentée par Joëlle Gayot), à propos de la pièce Gertrude (Le Cri) d'Howard Barker, donnée au théâtre de l'Odéon il y a quelques semaines (et dans laquelle elle joue un savoureux rôle de reine mère / vieille salope).

    http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/sur_scenes/fiche.php?diffusion_id=70436

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    Interrogée sur la réception du texte compliqué et provocateur du dramatruge anglais par le public (ou plutôt "vous sentez quoi émaner du public? "), Francine nous dit : "Ils écoutent très bien...On a eu une seule représentation où les gens ont un peu toussé.

    - C'est la saison...

    - Oui mais vous savez, lorsque les gens sont captivés, ils ne toussent plus ; même si c'est la saison et même s'ils sont malades."

    Bon, Francine a peut-être un peu menti, à moins que le hasard veuille que l'on soit tombé ce soir-là mais qu'importe! Elle nous apporte là le premier théorème de notre quête, peut-être la pierre angulaire du vaste édifice de nos 100 jours.

    lundi 16 février 2009

    La Vénus à la fourrure

    Histoire d'une soumission

    Changement d'ambiance ; après la mélancolie fantasque du romantique Musset, nous nous sommes frottés à la mélancolie doloriste du post-romantique Sacher-Masoch, au théâtre de la Colline.

    "La Vénus à la fourrure", pièce centrale de l'oeuvre de l'auteur qui donnera son nom au masochisme, évoque la soumission de Séverin à la maîtresse qu'il conforme à ses désirs, Wanda von Dunajew. Elle dit sa liberté face aux convenances de son temps, il la veut cruelle et suprêment dominatrice. Le couple trouve un bref équilibre sensuel et signe un contrat par lequel Séverin s'engage à devenir l'esclave de Wanda ; ils fuient vers l'Italie où le couple se délite peu à peu.

    On le voit d'emblée, la pièce éprouve les limites de ce que le théâtre s'autorise à représenter ; de la passion, de la douleur et du plaisir, que nous donne à voir la mise en scène de Christine Letailleur? Du symbole voire de l'esquive, car de fouets et de fessée, nous ne verrons que des mimes. Un peu de nudité : les seins de Wanda, le sexe et les fesses de Séverin et enfin sa nudité entière, symbole de son humiliation finale. Et une chorégraphie étrange entre les deux amants, qui tantôt dessinent la spirale de leur désir autour d'un lustre qu'ils allument progressivement, tantôt se livrent à d'étranges processions mortifères en fond de plateau.

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    Malgré ces efforts de sublimation peut-on dire, la pièce procure plutôt de la gêne que de la fascination (en témoigne une toussométrie impressionnante ce soir là), et provoque plus de ricanements que de soupirs. La mise en scène, qui bien que très dépouillée arrive tout de même à flirter avec le kitsch (le lustre très "D&CO", et la "sonate au clair de lune" en boucle), prend des risques inutiles et laisse souvent sombrer les comédiens dans le ridicule : Andrzej Deskur (Séverin), dont la diction (volontairement?) hachée conjure malheureusement sa dévotion au personnage, essuie les rires du public à chaque fois qu'il confie sa qualité de "supra-sensuel" ; quant à Dimitri Koundourakis, qui incarne pourtant "le Grec", Apollon contemporain polysexuel et dominateur, il délivre la prestation la plus involontairement comique du moment (mais cela vaut le coup d'être vu). Valérie Lang (Wanda), enfouie sous de multiples fourrures, tire son épingle du jeu.

    L'ensemble ne nous a donc pas convaincu ; reste la découverte d'un texte unique et l'hommage que l'on peut rendre à l'audace, même lorsqu'elle rate sa cible. Mais on peut aussi préférer réécouter une popsong parfaite justement intitulée "Venus in Furs", sur l'album sans titre du Velvet Underground et apprécier dans la poésie de Lou Reed l'héritage de Sacher-Masoch.

    Toussométrie : Forte à très forte (4/5)

    La Vénus à la Fourrure, de Leopold von Sacher-Masoch - Mise en scène : Christine Letailleur - Théâtre de la Colline (petite salle) - Jusqu'au 22 février - de 13 à 27 euros.

    http://www.colline.fr/spectacle/163

    Fantasio

    Carnaval mélancolique

    Pour preuve de sa bonne foi, l'auteur de ce blog entame sa quête sur un bonheur absolu et inespéré. En passant pour la première fois le seuil de la Comédie-Française (salle Richelieu, près du Palais Royal), pour aller assister à une pièce de Musset qu'on n'avait pas fréquentée depuis le lycée, on s'attendait à se trouver là dans une institution décrépite où l'on ne manquerait pas de mettre en morceaux l'humour et la vivacité de Fantasio. Le risque était grand d'autant qu'une forte odeur de Shalimar flottait sur les premiers rangs (où le miracle de la réservation sur internet nous avait amenés) et que la toussomètre enregistrait une forte activité au niveau des premières loges.

    Le prologue apporte un démenti immédiat à nos appréhensions : deux jeunes pensionnaires, dont nous avons appris les noms par coeur à l'issue de la représentation comme on le faisait des popstars à 15 ans, Clément Hervieu-Léger et Adrien Gamba-Gontard, nous arrachent nos premiers éclats de rire, lesquels émailleront le reste de la représentation. Car sur scène, on a là de considérables talents comiques : Melle Claude Mathieu en gouvernante complice et lacrymale et Guillaume Gallienne qui campe, avec une remarquable absence de vanité, un prince de Mantoue au ridicule abyssal. On croise d'ailleurs ce garçon sur Canal + (Le Grand Journal), dans de courts sketches satirisant le monde du cinéma, de simples amuse-gueules en comparaison de sa prestation ici.

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    La mise en scène est à l'image de son dispositif principal, un manège placé au milieu du plateau, virevoltante et joyeuse, et libre : s'emparant du thème du travestissement traité par Musset, c'est une femme (Cécile Brune) que le metteur en scène a choisie pour incarner Fantasio, jeune bourgeois de Munich qui, pour échapper à ses créanciers, prend l'aspect du favori disparu de la princesse (Florence Viala), un bouffon. Mais la mise en scène sait parfois suspendre le rythme - les personnages se figent presque tandis que le manège tournoie frénétiquement en une spirale stérile - et laisse le temps aux spectateurs de goûter la mélancolie profonde du texte de Musset. L'émotion vient alors brusquement se lover dans votre gorge, quand la princesse au coeur brisé n'a plus qu'un film burlesque muet pour invoquer le souvenir de son amour disparu. Notons au passage que le responsable de ce délicieux anachronisme cinéphile et de la mise en scène en général, c'est Denis Podalydès qui, au cinéma, et souvent avec son frère Bruno, est un des meilleurs représentants de la comédie d'auteur, délicate et hilarante, comme en témoigne par exemple la version "interminable" de "Dieu seul me voit" (1998) récemment éditée sous le titre de "Versailles-Chantiers" (l'intégrale des aventures d'Albert Jeanjean).

    Pitch : La jeune princesse Elsbeth est promise au prince de Mantoue pour sceller l'alliance entre leurs deux peuples. Tandis que le prince, qui doit être présenté à la jeune fille, choisit de prendre l'aspect de son aide de camp pour se faire aimer d'elle vraiment, Fantasio, un jeune bourgeois fantasque prend l'aspect de Saint-Jean, bouffon de la cour et favori de la princesse récemment disparu, pour échapper à ses créanciers...

    Toussomètrie : Calme (1/5).

    Fantasio, d'Alfred de Musset - Mise en scène : Denis Podalydès - Comédie-Française, Salle Richelieu - 1h50 (sans entracte) - Jusqu'au 15 mars 2009 - de 11 à 37 €.

    http://www.comedie-francaise.fr/dev/saison_spectacles.php?spid=107

    Autres opinions :

    http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=45694

    http://theatre-danse.fluctuat.net/blog/33297-fantasio-a-l-aise-a-la-comedie-francaise.html

    http://www.lefigaro.fr/theatre/2008/09/26/03003-20080926ARTFIG00396-fantasio-ou-musset-et-ses-doubles-.php

    http://www.webthea.com/actualites/?Fantasio-d-Alfred-de-Musset,1645

    http://theatredublog.unblog.fr/2008/09/25/fantasio-dalfred-de-musset-mise-en-scene-de-denis-podalydespar-philippe-du-vignal/

    Vade mecum

    Ce blog est le récit d'une quête entamée à la faveur de la nouvelle année (2009). Elle vise à donner une réponse définitive et sans appel à une interrogation fondamentale : "les gens attendent-ils de tousser pour aller au spectacle ou les spectacles font-ils tousser?"(P. Daninos) et à la question subsidiaire : "le théâtre est-il devenu un art insupportable aux contemporains?"

    Pour répondre à ces questions, l'auteur du blog se donne 100 jours (l'affaire finira donc mal), se fonde sur une méthode essentiellement empirique : aller au spectacle (théâtre, danse, opéra) -- à Paris -- et utilisera un instrument de mesure unique en son genre : un toussomètre.

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    2009-02-16