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    vendredi 20 mars 2009

    L'Ordinaire

    Tupi or not tupi

    Les anthropophages brésiliens peuvent être fiers de Michel Vinaver ; à la question posée par Oswald de Andrade en 1928 dans le Manifeste anthropophage, "Tupi or not tupi, that is the question", il répond par un grand "oui!" .

    Dans "L'Ordinaire", qui rentre au répertoire de la Comédie-Française, un jet transportant l'état major d'une multinationale américaine du préfabriqué s'écrase dans les Andes. Beaucoup survivent à l'accident : le PDG, sa femme et sa secrétaire, trois vice-présidents et la maîtresse de l'un, la fille d'un directeur mort sur le coup. Pour nourriture, le quotidien d'un avion de luxe : des alcools forts, des olives, des carrés de chocolat et quelques crackers... assez pour attendre des secours, dépêchés par un Pinochet pressé par Reagan...mais ceux-ci renoncent après quelques jours. Comment survivre alors dans ce désert de neige? La jeune femme brise le tabou : ce sont les cadavres que l'on mangera...

    Inspirée du fait divers du même tonneau qui marqua les esprits dans les années 1970 (pauvre équipe de rugby d'Uruguay), la pièce de Vinaver traite de front l'argument théorique du "mangera/mangera pas". Pas tant en développant une discussion morale et philosophique sur la validité du choix cannibale (plutôt l'occasion de bouffoneries de la part de la bigote Bess), qu'en en examinant sans fausse pudeur les conséquences pratiques : comment dépasser le dégoût et sublimer la nourriture, comment découper et conditionner la "viande" et comment la digérer. Mais l'auteur ne s'en tient pas là ; autour de ce noyau central, il agglomère une foule de thèmes secondaires (l'obsession du pouvoir dans la mécanique capitaliste, la séduction et la fidélité, qui étreignent des personnages oublieux de leur sort, encore absorbés par les enjeux de leur vie d'avant le crash) et tend en arrière-plan la toile tragique de la soumission politique et économique de l'Amérique latine des années 1970 et 1980.

    Ce beau matériau est servi par des comédiens convaincants, surtout les dames : drôlerie irrésistible de Sylvia Bergé (Bess), qui tire son personnage de la ridicule bourgeoise du début vers une femme légère et tendre qui "se sent bien" dans la carlingue-épave, piquant de la jeune Priscilla Bescond (Nan), midinette délurée se muant en aventurière décidée, et force de Léonie Simaga à qui la tâche revient d'être l'inspiratrice pragmatique de la survie (Sue), et dont le jeu s'affirme à mesure que la pièce avance. A notre représentation, Elsa Lepoivre, souffrante, était remplacée par Florence Viala "avec le texte", qui réussissait à n'être pas mal du tout (elle était super dans "Fantasio" sur la même scène).

    La mise en scène, assurée par Michel Vinaver et Gilone Brun, repose toute entière, outre les comédiens, sur un plateau central qui bascule vers les sièges des premiers rangs (mangeant ainsi l'espace du spectateur), véritable "radeau de la méduse" minimaliste. Le reste est très épuré, peut-être trop, de cette sécheresse qui demande beaucoup aux spectateurs ; ici, c'est le texte qui prime, et la présence de l'auteur comme metteur en scène n'y est peut-être pas pour rien. C'est de la chair dont on a envie autour de ce squelette de décor ; Michel Vinaver a peut-être pris plaisir à ne pas satisfaire notre appétit...mais pas de quoi nous dégoûter de cette pitance peu ordinaire.


    Toussométrie : forte (4/5)

    L'Ordinaire, de Michel Vinaver - Mise en scène : Michel Vinaver et Gilone Brun - Comédie-Française, salle Richelieu - Jusqu'en juin 2009 - de 11 à 37 euros - environ 2h30.

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